Il y a quelques mois, je lisais Les Quinze causeries en Chine de J.M.G. Le Clézio, un recueil publié par Gallimard regroupant des conférences données par le Prix Nobel de littérature 2008 il y a une dizaine d’années. Parmi ces échanges littéraires, une évocation particulière a retenu mon attention : celle de Sue Hubbell. Pourquoi exactement ? Cela m’échappe aujourd’hui, mais l’allusion de Le Clézio a suffi à attiser ma curiosité. Il évoquait le travail de Sue Hubbell avec une telle ferveur que j’avais soigneusement noté son nom. Quelques semaines plus tard, au tout de ce mois de janvier, je m’attelais à la lecture de son ouvrage Une Année à la campagne.
Ce livre est sans doute le plus célèbre de Sue Hubbell, une écrivaine américaine, biologiste de formation et bibliothécaire. Divisé en quatre parties, correspondant aux saisons, il rassemble des fragments de vie et de réflexions sur la vie de Sue le paysage naturel des Ozarks. Ces récits ne suivent pas un ordre chronologique strict, mais se tissent harmonieusement autour de la cyclicité de la nature. Le Clézio, qui signe la préface de l’édition française, la surnomme « la Dame aux Abeilles », car c’est autour de l’apiculture que gravitent les moments centraux de son récit.
L’histoire commence par un choix radical : quitter une bibliothèque universitaire prestigieuse pour s’installer, avec son mari, dans une maison modeste nichée au cœur des montagnes des Ozarks, une région sauvage, rude et majestueuse du Missouri. Ce couple urbain se lance alors dans une aventure imprégnée de nectar et de miel, mais leur chemin commun se sépare rapidement. Le mari de Sue quitte l’aventure, la laissant seule face à une existence qu’elle embrassera pleinement pendant douze ans.
On pourrait être tenté de comparer cette quête d’authenticité à celle de Thoreau dans Walden, mais les parallèles s’arrêtent là. Contrairement à Thoreau, dont la cabane n’était qu’à une poignée de kilomètres de la civilisation, Sue Hubbell s’engage dans une véritable immersion, loin du confort des visites fréquentes et des aides extérieures (bien qu’elle reçoit quelques fois, bien sûr). Là où Thoreau écrivait pour dénoncer les illusions techniques et le conformisme de son époque, Hubbell emploie une plume douce et généreuse, ancrée dans l’émerveillement et la gratitude. À travers son écriture, elle nous rappelle la richesse infinie du monde naturel, qui se dévoile à chaque instant, si seulement nous prenons le temps de l’observer.
Ce qui m’a profondément touché dans Une Année à la campagne, c’est cette capacité qu’a Hubbell de capturer la poésie du lien entre l’humain et le non-humain. Son quotidien d’apicultrice, ses observations minutieuses de la faune et de la flore, et ses réflexions sur la vie résonnent d’une simplicité désarmante. Il n’y a rien de prétentieux ou d’artificiel dans son approche ; comme le souligne Le Clézio, elle parle simplement « de la vie et de la nature, et de leur empreinte sur la mémoire, la douleur et la passion ».
À travers ces fragments narratifs, j’ai retrouvé des échos d’autres œuvres, comme les essais poétiques de Feng Zikai dans Couleur de Nuage. Bien que leurs styles diffèrent, les deux auteurs partagent un même lyrisme, un même humour tendre, et une curiosité émerveillée face au monde qui les entoure. Chez Hubbell, cette curiosité s’accompagne d’une profonde empathie : un attachement rare à la nature, une intelligence lucide et une capacité à poser un regard émerveillé sur ce qui nous dépasse.
Ce livre a été pour moi une piqûre de rappel : nous, humains, qui nous targuons de tout comprendre, restons ignorants face à l’immensité des mystères de la nature. Chaque page m’a rappelé que ces secrets, si jalousement gardés, ne se livrent qu’à ceux qui savent observer, patienter et respecter. Peut-être, à l’image de Sue Hubbell, devrions-nous ralentir, nous asseoir, et simplement contempler – des heures durant – ce qui nous entoure, sans chercher à tout contrôler, mais en apprenant à nous émerveiller, en silence, pour voir tout ce qu’on a oublié de regarder.