Review – Jeu vidéo — Poco (Whalefall / Micah Boursier)

Poco Jeu Vidéo

Il est rare qu’un jeu gratuit me subtilise deux heures d’un dimanche avec autant d’attention et de douceur, et pourtant… Le jeu Poco est une de ces petites merveilles : une aventure point-and-click en 2D/3D où l’on incarne Poco, le plus petit clown du monde, banni d’un cirque gigantesque flottant et forcé de se débrouiller dans un « Below World » peuplé d’objets oubliés et de créatures farfelues. Le pitch est simple, mais ce qui suit est tissé d’intentions esthétiques et ludiques qui valent qu’on s’y attarde.

Gameplay d’abord : miniature, mais précis

Sur le papier Poco se pose en aventure traditionnelle : on clique, on collecte, on observe, on combine. En pratique, le jeu parvient à rendre ces mécaniques familières étonnamment tactiles. Les hotspots 2D sur des décors peints demandent un œil attentif (parfois un peu trop : certains éléments se fondent dans la peinture : comme les Neufs à trouver ou encore une photographie à composer dont les morceaux éparpillés ne sont pas toujours très simples à trouver). Les mini-jeux interactifs ponctuent les résolutions d’énigmes pour casser la monotonie du simple inventaire, et le Dieu du jeu vidéo sait à quel point j’ai passé du temps sur ce mini-jeu de pêche ! 

Le jeu Poco

En bref, l’ensemble favorise avant tout une progression contemplative plutôt qu’un crescendo de défi — un choix de design cohérent avec sa durée et son ambition : Poco se joue en une poignée d’heures et vise l’émotion plutôt que la performance.

Graphismes et direction artistique : peinture + cartoon = une magnifique alchimie

Le mariage 2D/3D fonctionne ici comme une petite prouesse économique et expressive : les arrière-plans sont de véritables tableaux peints, débordant de détails, tandis que les animations 3D du personnage et des homoncules apportent du relief et de la vivacité à ce joli petit monde. L’effet est double : la peinture invite à la contemplation, la 3D raconte le mouvement et la comédie physique — très approprié pour un héros clownesque. Ces choix esthétiques font penser à une rencontre entre la délicatesse d’un conte illustré et la théâtralité d’un cartoon moderne, sans jamais sombrer dans l’illustration kitsch.

Références visuelles et culturelles : où placer Poco dans la famille des esthétiques indés ?

Sans prétendre reproduire un style précis, Poco évoque plusieurs traditions : le sentimental et le détaillé des albums illustrés européens (oui, j’y vois une esthétique proche de La Grande imagerie des gnomes de Tony Wolf, par exemple), mais aussi la mise en scène de l’objet trouvé (junkyard poetry) chère à certains courts-métrages d’animation, sans oublier cette touche de burlesque visuel qui rappelle l’héritage des clowns filmiques. 

Poco Game

Plutôt que d’emprunter frontalement à un grand studio, le jeu opte pour un syncrétisme : un patchwork d’inspirations visuelles qui soutient son propos : la beauté des choses cassées, le bric-à-brac du quotidien perdu dans un environnement mystérieux et merveilleux. Peut-on y avoir alors un geste politique discret ? Celui de valoriser l’excès, la marge, le hors-service. Jouer avec l’échelle transforme le jeu en essai sur l’agence, où notre protagoniste minuscule impose sa volonté sur un monde « trop grand ».

Écriture, thématique et mise en scène

L’arc narratif est simple mais efficace : Poco, exclu, cherche à retrouver son cirque, mais n’est-ce pas plutôt une troupe ou une place parmi des compagnons qu’il cherche avant tout ? Les personnages secondaires — cinq homoncules symbolisant les sens — sont autant de fables courtes qui alimentent l’univers et les quêtes. L’écriture privilégie l’observation et l’implicite, laissant la salle vide à l’interprétation plutôt qu’à l’explication. En tant que joueur, j’apprécie particulièrement la façon dont le jeu matérialise la mémoire par les objets : reconstituer une photographie, réparer une fusée cassée, c’est ici une sorte de politique de la réminiscence mise en scène par le level design.

Poco Scriptwriting Game Design

Points forts // petits bijoux techniques et affectifs

  • Une direction artistique magnifique, cohérente et chaleureuse, qui justifie à elle seule la promenade.
  • Un rythme posé, parfait pour les joueurs qui aiment l’exploration contemplative.
  • Des interactions variées (énigmes, mini-jeux, collecte) qui évitent la monotonie.

Bémols // à polir pour que la magie soit totale

  • Lire certains hotspots dans les décors peints peut être laborieux : la lisibilité pêche parfois, ce qui casse un peu l’immersion ou plutôt la complétion totale du jeu.
  • Quelques mini-jeux sont obligatoires et peuvent sentir la contrainte si l’on n’y est pas préparé ; et certains peuvent être un peu difficiles pour des joueurs débutants ou novices ; mais cela n’enlève rien à la grande qualité du jeu.

Mon parti-pris ici :

Voir Poco non seulement comme une expérience agréable, mais comme un manifeste. À l’heure où les blockbusters mesurent leur qualité en gigaoctets et explosions, Poco rappelle que la valeur ludique peut se mesurer en délicatesse de design, en économie de moyens et en cohérence thématique. Le jeu met en scène la réappropriation (réparer, rassembler, partir) et, par ce geste, revendique une posture éthique : la beauté n’est pas l’apanage du neuf. Cette modestie, servie par un travail de direction artistique minutieux, est la vraie force du titre. À savoir : ce jeu est à la base un projet étudiant !

Poco Video Game Steam

Conclusion : pour qui, pourquoi jouer ?

Poco n’est pas un mastodonte et ne cherche pas à l’être : c’est une courte balade poétique, une invitation pour qui aime les mondes ciselés et les mécaniques propres. À conseiller aux amateurs d’aventures indé contemplatives, aux curieux d’images peintes, et à quiconque désire une expérience gratuite qui ne sacrifie ni le style ni le cœur. Si vous aimez réfléchir au rôle de l’échelle et de l’objet dans le jeu vidéo — ou simplement passer un bon moment avec un petit clown à grosse âme — donnez une chance à Poco. Vous repartirez peut-être avec l’impression, inattendue, d’avoir réparé quelque chose en vous.

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